On s’étonne parfois d’apprendre que j’éprouve une tendresse particulière pour Harry Potter, le petit sorcier de J.K.Rowling.Et il est vrai qu’on s’attendrait plutôt à ce qu’un professeur de français plébiscite Victor Hugo, Molière, Chateaubriand, Verlaine, Shakespeare ou tant d’autres écrivains français ou étrangers qui nous ont laissé tant d’oeuvres majeures de la littérature.
En fait, j’ai pour lui une véritable reconnaissance.
Au début des années 2000, au mois d’août, alors que je préparais ma rentrée, la présidente des parents d’élèves de mon collège traversa la salle où je travaillais. La conversation s’engagea. Elle vint à me demander si j’avais choisi les oeuvres de lecture suivie que je ferais étudier aux élèves de 5° cette année-là. Bien entendu ma liste était prête. Elle revenait des Etats-Unis d’où elle est originaire et me confia que là-bas un ouvrage “faisait un carton” près des jeunes. Et de me décrire avec verve leur engouement pour un jeune héros, Harry Potter, apprenti sorcier de son état. D’abord méfiante vis-à-vis des emballements d’outre-Atlantique et peu encline à verser dans la sorcellerie, j’écoutai poliment.
Après son départ, je me dis que, tout bien réfléchi, je pouvais toujours en acquérir un exemplaire : il ne m’en coûterait qu’un livre de poche. Ce ne serait pas la ruine. L’ouvrage venant tout juste d’être imprimé, je dus le commander. Quelques jours plus tard, je commençai ma lecture.
Dès les premiers chapitres, il me sembla que l’histoire pouvait en effet séduire des élèves parfois imperméables à cet exercice. Et lorsque je le refermai, je sus que j’allais tenter l’expérience. Je tiens à préciser qu’à cette date Harry Potter était célèbre en Amérique mais qu’en France rares étaient les personnes qui connaissaient son nom : l’encre du premier tome était à peine sèche.
C’est donc avec une certaine appréhension que j’ai apporté en classe ma pile de 25 exemplaires de “Harry Potter à l’école des sorciers”, sous l’oeil un peu moqueur de certains collègues…
L’examen de la couverture attira d’abord l’attention des élèves qui remarquèrent d’emblée les trois chapeaux pointus, les drôles de lunettes et l’air un peu ahuri d’Harry et le gabarit hors-norme du géant Hagrid. Un coup d’oeil à la table des matières leur apprit des mots inconnus : choixpeau, quidditch, rised. Quant à la voie 9 3/4, aucun n’en avait jamais entendu parler. La curiosité éveillée, on ouvrit l’ouvrage au chapitre 1. Dès la première page, le portrait de Mrs Dursley les amusa, notamment son cou “deux fois plus long que la moyenne, fort utile pour espionner ses voisins en regardant par-dessus les clôtures des jardins”. Deux pages plus loin, un chat consultant une carte routière, des hiboux qui volaient en plein jour, des passants vêtus de capes émeraude, tout cela continua d’entretenir le désir d’aller plus avant. Aussi, aucun ne rechigna à lire la suite pour le lendemain et à noter le travail à réaliser.
Le lendemain justement, à peine entrée en classe, je fus assaillie par des commentaires fusant de toutes parts : ils avaient aimé les premières pages, chacun avait fait correctement le travail écrit demandé, plusieurs avaient avancé plus loin dans les chapitres, les autres se promettaient d’en faire autant le soir-même. Le cours ce jour-là fut très animé.
Mais ce n’était que le début. Au fil des jours, une sorte de folie s’empara d’eux. On ne pouvait plus les arrêter. Chaque fin de chapitre, les laissant habilement sur un mystère non résolu, incitait les plus rebelles à la lecture à s’embarquer dans le chapitre suivant. C’est avec une réelle délectation que les travaux de français de toute nature inspirés de cet ouvrage étaient réalisés : questionnaires de compréhension, vocabulaire, débats oraux, illustrations, sujets de rédaction, leçons de grammaire dont les exemples en étaient extraits, petits sketches… Tout un bon mois, le travail de français fut organisé autour du livre qui remporta un franc succès.
Mais, me direz-vous, il n’y a là rien que de très normal : des élèves qui s’intéressent à un ouvrage et qui font avec plaisir le travail scolaire demandé n’a rien de vraiment exceptionnel, heureusement !
Non, bien sûr! Mais ce qui suit est moins courant. Ce furent d’abord des remarques que me confiaient des enfants en dehors des cours.
-Il est vraiment intéressant, ce livre-là! Je croyais que la lecture, c’était pas fait pour moi, mais là je me rends compte que je peux aimer lire.
Ou un autre :
-J’ai lu hier soir et je ne pouvais plus arrêter. Mon père est venu dans ma chambre pour éteindre ma lumière. Mais quand il est parti, j’ai rallumé. J’avais trop envie de savoir la suite !
Ou un autre encore :
-Est-ce qu’on lira le deuxième tome après celui-là? Ce serait bien.
Je précise que ces trois élèves faisaient partie des plus récalcitrants à la lecture.
Quand arriva la fin du mois d’octobre, la FNAC organisa pour Halloween une opération marketing pour la sortie du deuxième tome, à minuit pile. J’appris avec stupeur que plusieurs élèves avaient harcelé leurs parents jusqu’à obtenir d’aller acheter le livre à cette occasion et à cette heure inédite. Et que les parents avaient fini par obtempérer! Le lendemain, livre en main, les heureux propriétaires furent entourés par une nuée de leurs camarades qui oubliaient de jouer au foot ou d’embêter les filles pour discuter d’Harry Potter et de la suite de ses aventures.
En décembre, lors d’une réunion parents/professeurs, une maman me confia :
-Je ne sais pas quel livre de lecture suivie vous allez leur proposer en janvier, mais vous aurez du mal à faire mieux qu’avec Harry Potter. Ma fille a adoré, elle a demandé le deuxième tome pour Noël. Elle qui n’aimait pas lire!
Et ce ne fut pas un feu de paille. L’année suivante, ces élèves passèrent entre les mains de mes collègues de 4°. Ils continuaient à aimer lire. Et quand ils m’apercevaient dans la cour ou lors de récréations, je les voyais accourir vers moi, me demandant si j’avais lu tel passage ou échangeant des hypothèses sur la suite des aventures. L’un d’eux chercha même sur Internet s’il y avait moyen de connaître la suite par avance en consultant le site américain avec l’idée de demander la traduction du texte. Mais il n’obtint qu’un très court extrait… qui excita encore un peu plus son désir d’acheter le tome suivant.
Alors évidemment, lorsqu’il fut question de faire un film à partir des aventures de leur petit héros, il n’existe pas de mots pour décrire leur enthousiasme.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de rencontrer en ville l’un ou l’autre des élèves de cette année-là. Un sourire complice nous vient alors sur les lèvres et l’un de nous ne peut s’empêcher de dire à l’autre :
-Harry Potter! Quel bon souvenir !!!
Alors oui, pour ces moments de bonheur partagé, pour avoir donné à cette promotion d’élèves tant d’émotions sur le moment et le goût de lire pour longtemps : Merci, petit Harry!!!
Un vrai petit sorcier, ce Harry Potter…